Le voyageur qui baptisa « fleuve Bleu » le Yangzi jiang était ou poète, ou ivre, ou daltonien : ses eaux sont aussi brunes que celles du fleuve Jaune. Les Chinois ont donné des noms bien plus terre à terre à ce géant de 5 980 km : en amont - où il est aurifère -, il est le fleuve aux Sables d’or (Jinsha jiang) ; quand il franchit les Trois Gorges, il devient le Long Fleuve (Chang jiang), pour terminer sa course au-delà de Yangzi, le « gué des Yang », dans un immense delta. Barrière climatique, il dessine une ligne de partage entre la Chine du Nord et ses champs de blé et les rizières de la Chine du Sud. Artère navigable, il traverse, du Sichuan au Jiangsu, les régions productrices de la plus belle soie du monde. Il serpente à travers les provinces du Qinghai, du Yunnan, du Sichuan, du Hubei, du Hunan, du Jiangxi, de l'Anhui et du Jiangsu et traverse les immenses agglomérations de Chongqing, Nankin et Shanghai. Lors de son parcours, il reçoit les eaux de plus de 700 affluents.
Le Sichuan : sols rouges et bouddhas au pays de Shu
A l’ouest, le Shu, aussi grand que la France, fut une terre de grands marchands et de petits colporteurs. Aux commandes du Long Fleuve navigable, il était aussi au carrefour des caravanes de sel qui partaient vers le plateau tibétain et des convois de petits chevaux qui allaient quérir rubis et jade de Birmanie. Son bassin rouge reste une terre de cocagne, où poussent le riz et le mûrier. Par deux fois, quand vacillèrent le pouvoir des Han (début du IIIe siècle) puis celui des Tang (milieu du VIIIe siècle), il fut une terre d’asile où les Chinois tentèrent de reconstruire l’empire.
• Magiciens et poètes : Au sud de la ville, pavillons et cyprès composent le temple du Marquis de Wu, construit près du tertre funéraire du souverain dont le marquis fut le conseiller. Stratège, un peu magicien, celui-ci est passé à la postérité, sous le nom de Zhuge Liang, en devenant le héros du plus célèbre roman chinois, Les Trois Royaumes. Du Fu fut un poète mélancolique, témoin de l’exil d’un empereur et du sac de sa capitale, en 755. Réfugié à Chengdu, il y trouva la paix. Une chaumière commémore son séjour, dans un joli parc (Du Fu caotang).
Leshan et le mont Emei
Pour veiller sur les bateliers de la rivière Min, on dressa, entre 713 et 803, un bien curieux sémaphore : un Bouddha assis de 71 m fut taillé à même la falaise, protégé de l’érosion pluviale par un savant système de drainage interne. C’est tout ce qu’il y a à voir à Leshan, mais à 37 km de là s’élève une des quatre montagnes sacrées des bouddhistes, Emei shan, où, dès le VIe siècle, on bâtit des temples dédiés à Puxian, le bodhisattva monté sur un éléphant blanc. Le long des sentiers qui grimpent vers les sanctuaires, pousse une flore qui s’enroule sur les arbres.
• Les maisons de thé : Improvisées dans un coin de parc, dans l’enceinte d’un temple ou sur les quais de la rivière, elles sont l’une des scènes de l’art de vivre à la mode de Chengdu. Sous les cages d’oiseaux chanteurs suspendues au plafond, les serveurs glissent avec aisance autour des convives, installés dans un mobilier de bambous assemblés. Porteurs d’une bouilloire à long bec, ils scrutent le ballet des mains manipulant la coupe et son couvercle. Posé de travers, c’est que l’on attend une rasade d’eau bouillante ; rès de la coupe, c’est que l’on en a terminé.
Chongqing
Perchée sur un promontoire, au confluent du Long Fleuve et du Jialing jiang, Chongqing est l’un des « fours » de la Chine : en été, le thermomètre y grimpe vers des températures peu avouables. Elle partage cette fâcheuse réputation avec Nankin et Wuhan, et toutes trois furent pourtant les capitales successives de Chiang Kaishek durant l’occupation japonaise de la Seconde Guerre mondiale. Celle-ci valut à Chongqing de copieux bombardements, malgré les brouillards qui montent du fleuve chaque hiver. Ce n’est donc pas ici que l’on quêtera le passé millénaire des Chinois... Mais, à l’occasion d’un séjour pour embarquer sur le Yangzi jiang, on pourra se plonger dans le grouillement de ses ruelles en pente, où monte la rumeur des vapeurs et des sampans. A Chongqing, on s’attable dans une gargote autour du huoguo, version locale du pot-au-feu.